La figue, fruit de la sagesse
Le figuier est l’un des arbres fruitiers les plus anciennement cultivés par l’homme. La saveur fondante de son fruit, sa délicatesse subtilement miellée, la variété de ses utilisations – on peut aussi bien le consommer frais que rôti, poché, confit ou sec – en ont fait l’une des bases de la cuisine méditerranéenne et, plus particulièrement, de la gastronomie marocaine.
Texte Samia Abdel-Adim Photos Cécile Tréal et Jean-Michel Ruiz, Mathieu Gast, Olivier Fréguin
On ne sait trop à quand remonte la culture du figuier. à plusieurs millénaires, sans aucun doute… Toujours est-il qu’à Saqqarah ont été retrouvés trois cents chapelets de figues dans la tombe d'un pharaon de la XIXe dynastie, que des textes royaux d'Ougarit mentionnent des gâteaux à la figue, et qu’enfin le fruit est cité dans la sourate « Attine » du Coran et une cinquantaine de fois dans la Bible. Certains auteurs soutiennent même que c’est à l’aide de feuilles de figuier et non de vigne qu’Adam et Eve couvrirent leur nudité quand ils furent chassés du Paradis terrestre. Bien que probablement originaire du Moyen-Orient et du sud de l’Arabie, il a tant été cultivé par les Phéniciens, les Syriens, les égyptiens et les Grecs qu’il a fini, comme l’olivier, par devenir l’un des arbres emblématiques de la Méditerranée, se chargeant progressivement de symboles, comme ceux de la sagesse ou de la fécondité que lui attribuent les Marocains.
Aujourd’hui répandu dans de nombreuses régions du monde, le figuier
appartient à une famille très nombreuse qui compte six cents espèces
différentes parmi lesquelles le banyan, le caoutchouc et le philodendron. Il se contente de sols
pauvres et se plaît particulièrement dans le nord du Maroc, où il a
très tôt conquis une grande importance économique. C’est ainsi que les
villageois de certaines régions de production affirment que le fruit
séché s’échangeait contre les céréales en provenance du Gharb.
Sa culture, qui couvrait jadis les terrains plats, s’est aujourd’hui
réduite aux collines, aux terres en pente et aux abords des
habitations, donnant une production principa-lement orientée, outre la
consommation locale, vers la production de fruits secs. La figue n'est
pas à proprement parler un fruit mais un réceptacle qui, situé au bout
d’un rameau, contient au fond des fleurs femelles et près de l'orifice
des fleurs mâles. Lors de la fécondation, généralement assurée par
l’intermédiaire d’une guêpe, le réceptacle gonfle et les fleurs
deviennent des petites graines, croquantes sous la dent, qui se
transformeront en fruits.
à maturité, les figues perlent : une sève blanche, le latex, coule du
pédoncule. Ce liquide ressemble à du lait, ce qui explique le symbole
déjà évoqué de la fécondité.
Au Maroc, la figue est souvent consommée sans autre forme de
préparation, tant fraîche que déshydratée. La variété d’automne
(karmouss), à la pulpe gorgée de soleil, est parfumée, riche en eau (85
%), peu calorique, désaltérante et diurétique, donc très appréciée par
temps chaud. La variété noire se marie volontiers aux plats cuisinés,
car sa peau épaisse résiste à la cuisson, et l’on peut aussi bien la
pocher que la poêler ou encore la rôtir. Sa chair suave se marie
admirablement aux amandes dans un tajine d'agneau ou aux fèves dans un
couscous d’orge typique du Sud marocain.
Au dessert, elle se savoure nature, accompagnée de cerises ou de melons
de saison. En confiture, elle devient une exquise gourmandise
consommable en toute saison.
Pendant le ramadan, les figues sèches, énergétiques et reminéralisantes
– elles sont très riches en calcium – font partie des en-cas favoris
lors des ruptures de jeûne.
La « mahia », quant à elle – une eau-de-vie de figues titrant 40° que
distillaient artisanalement, dans les mellahs, les Juifs des régions de
Fès et Meknès – peut intervenir en fin de repas pour flatter la bouche
de ses arômes puissants.
L’autre figuier
L’été, à la campagne, on le reconnaît au premier coup d’œil : ses
longues tiges, en forme de palettes recouvertes de piquants, s’ornent
de jolies fleurs aux couleurs vives. Le figuier de Barbarie – ou oponce
– ne fait pas partie de la même famille. Son origine se situe dans la
zone inter-tropicale américaine. Les conquistadors le découvrirent en
arrivant dans le Nouveau Monde et appelèrent son fruit la « tuna ».
Implanté autour de la Méditerranée, il s’est si bien acclimaté,
notamment en Afrique du Nord, qu’il a été baptisé figuier de Barbarie,
du nom dont les Européens désignaient autrefois les pays du Maghreb.
Cette plante possède une qualité unique dans le monde végétal : elle
n'absorbe jamais la pollution. Après les explosions atomiques dans les
déserts américains, toute la végétation fut irradiée à l’exception des
cactus de Barbarie. Par macération de ses fleurs, on obtient une huile
réputée donner un coup de fouet à la peau et restructurer les tissus
cutanés. Avec ses fruits, on fabrique un vinaigre très doux. La figue
de Barbarie – appelée « figue des chrétiens » en dialecte marocain par
une ironique inversion sémantique – est consommée nature. Sous sa peau,
pourvue de petits aiguillons (les glochides) qui rendent la récolte
pénible, se cache une pulpe juteuse, acidulée, sucrée,
parfumée et parsemée de petits pépins de couleur sombre dont raffolent
les Marocains. Traditionnellement, ils la consomment dans la rue, tout
en palabrant avec le marchand ambulant dont les mains nues semblent
insensibles aux mille et une épines dont elle est hérissée…
Le délice des Pharaons
A savoir : Les figues arrivent à maturité à la fin de l'été. C’est entre la fin août et le début septembre que l’on peut assister à la cueillette, surtout dans le nord du Maroc, où se situent les principales zones de production et, surtout, déguster sur l’arbre ces fruits juteux à la saveur incomparable. Les figues de Barbarie sont, quant à elles, récoltées d’août à octobre dans la plupart des régions.